Monday, July 30, 2012

PAYSAGE POLAIRE 1878



Poésies!

Extrait Des Poèmes Barbares

Par Leconte De Lisle



Un monde mort, immense écume de la mer,
Gouffre d' ombre stérile et de lueurs spectrales,
Jets de pics convulsifs étirés en spirales
Qui vont éperdument dans le brouillard amer.

Un ciel rugueux roulant par blocs, un âpre enfer
Où passent à plein vol les clameurs sépulcrales,
Les rires, les sanglots, les cris aigus, les râles
Qu' un vent sinistre arrache à son clairon de fer.

Sur les hauts caps branlants, rongés des flots Voraces,
Se roidissent les dieux brumeux des vieilles races,
Congelés dans leur rêve et leur lividité ;

Et les grands ours, blanchis par les neiges antiques,
Çà et là, balançant leurs cous épileptiques,
Ivres et monstrueux, bavent de volupté.

LA PANTHERE NOIRE 1862


Poésies!

Extrait Des Poèmes Barbares

Par Leconte De Lisle



Une rose lueur s' épand par les nuées ;
L'horizon se dentelle, à l'est, d' un vif éclair ;
Et le collier nocturne, en perles dénouées,
S'égrène et tombe dans la mer.

Toute une part du ciel se vêt de molles flammes
Qu' il agrafe à son faîte étincelant et bleu.
Un pan traîne et rougit l' émeraude des lames
D' une pluie aux gouttes de feu.

Des bambous éveillés où le vent bat des ailes,
Des letchis au fruit pourpre et des cannelliers
Pétille la rosée en gerbes d' étincelles,
Montent des bruits frais, par milliers.

Et des monts et des bois, des fleurs, des hautes Mousses,
Dans l' air tiède et subtil, brusquement dilaté,
S' épanouit un flot d' odeurs fortes et douces,
Plein de fièvre et de volupté.

Par les sentiers perdus au creux des forêts Vierges
Où l' herbe épaisse fume au soleil du matin ;
Le long des cours d' eau vive encaissés dans leurs Berges,
Sous de verts arceaux de rotin ;

La reine de Java, la noire chasseresse,
Avec l' aube, revient au gîte où ses petits
Parmi les os luisants miaulent de détresse,
Les uns sous les autres blottis.

Inquiète, les yeux aigus comme des flèches,
Elle ondule, épiant l' ombre des rameaux lourds.
Quelques taches de sang, éparses, toutes fraîches,
Mouillent sa robe de velours.

Elle traîne après elle un reste de sa chasse,
Un quartier du beau cerf qu' elle a mangé la nuit ;
Et sur la mousse en fleur une effroyable trace
Rouge, et chaude encore, la suit.

Autour, les papillons et les fauves abeilles
Effleurent à l' envi son dos souple du vol ;
Les feuillages joyeux, de leurs mille corbeilles,
Sur ses pas parfument le sol.

Le python, du milieu d' un cactus écarlate,
Déroule son écaille, et, curieux témoin,
Par-dessus les buissons dressant sa tête plate,
La regarde passer de loin.

Sous la haute fougère elle glisse en silence,
Parmi les troncs moussus s' enfonce et disparaît.
Les bruits cessent, l' air brûle, et la lumière Immense
Endort le ciel et la forêt.

LES SPECTRES 1872



Poésies!

Extrait Des Poèmes Barbares

Par Leconte De Lisle



Trois spectres familiers hantent mes heures Sombres.
Sans relâche, à jamais, perpétuellement,
Du rêve de ma vie ils traversent les ombres.

Je les regarde avec angoisse et tremblement.
Ils se suivent, muets comme il convient aux âmes,
Et mon coeur se contracte et saigne en les Nommant.

Ces magnétiques yeux, plus aigus que des lames,
Me blessent fibre à fibre et filtrent dans ma Chair ;
La moelle de mes os gèle à leurs mornes flammes.

Sur ces lèvres sans voix éclate un rire amer.
Ils m' entraînent, parmi la ronce et les décombres,
Très loin, par un ciel lourd et terne de l' hiver.

Trois spectres familiers hantent mes heures Sombres.

Ces spectres ! On dirait en vérité des morts,
Tant leur face est livide et leurs mains sont Glacées.
Ils vivent cependant : ce sont mes trois remords.

Que ne puis-je tarir le flot de mes pensées,
Et dans l' abîme noir et vengeur de l' oubli
Noyer le souvenir des ivresses passées !

J' ai brûlé les parfums dont vous m' aviez empli ;
Le flambeau s' est éteint sur l' autel en ruines ;
Tout, fumée et poussière, est bien enseveli.

Rien ne renaîtra plus de tant de fleurs divines,
Car du rosier céleste, hélas ! Sans trop d' efforts,
Vous avez bu la sève et tranché les racines.

Ces spectres ! On dirait en vérité des morts !

Les trois spectres sont là qui dardent leurs Prunelles.
Je revois le soleil des paradis perdus !
L' espérance sacrée en chantant bat des ailes.

Et vous, vers qui montaient mes désirs éperdus,
Chères âmes, parlez, je vous ai tant aimées !
Ne me rendrez-vous plus les biens qui me sont dus ?

Au nom de cet amour dont vous fûtes charmées,
Laissez comme autrefois rayonner vos beaux yeux ;
Déroulez sur mon coeur vos tresses parfumées !

Mais tandis que la nuit lugubre étreint les cieux,
Debout, se détachant de ces brumes mortelles,
Les voici devant moi, blancs et silencieux.

Les trois spectres sont là qui dardent leurs Prunelles.

Oui ! Le dogme terrible, ô mon coeur, a raison.
En vain les songes d' or y versent leurs délices,
Dans la coupe où tu bois nage un secret poison.

Tout homme est revêtu d' invisibles cilices ;
Et dans l' enivrement de la félicité
La guêpe du désir ravive nos supplices.

Frémirons-nous toujours sous ce vol irrité ?
N' arracherons-nous point ce dard qui nous torture ?
Ni dans ce monde, ni dans notre éternité.

La vieille illusion fait de nous sa pâture ;
Nul captif n' atteindra le seuil de sa prison ;
Et la guêpe est au sein de l' immense nature.

Oui ! Le dogme terrible, ô mon coeur, a raison.

LES MONTREURS 1862


Poésies!

Extrait Des Poèmes Barbares

Par Leconte De Lisle



Tel qu' un morne animal, meurtri, plein de Poussière,
La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d' été,
Promène qui voudra son coeur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !

Pour mettre un feu stérile en ton oeil hébété,
Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
Déchire qui voudra la robe de lumière
De la pudeur divine et de la volupté.

Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire,
Dussé-je m' engloutir pour l' éternité noire,
Je ne te vendrai pas mon ivresse ou mon mal,

Je ne livrerai pas ma vie à tes huées,
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal
Avec tes histrions et tes prostituées.

LE DERNIER SOUVENIR 1872



Poésies!

Extrait Des Poèmes Barbares

Par Leconte De Lisle



J' ai vécu, je suis mort. -les yeux ouverts, je Coule
Dans l' incommensurable abîme, sans rien voir,
Lent comme une agonie et lourd comme une foule.
Inerte, blême, au fond d' un lugubre entonnoir
Je descends d' heure en heure et d'année en année,
À travers le muet, l' immobile, le noir.
Je songe, et ne sens plus. L'épreuve est terminée.
Qu' est-ce donc que la vie ? étais-je jeune ou vieux ?
Soleil! Amour! -rien, rien. Va, chair abandonnée !
Tournoie, enfonce, va! Le vide est dans tes yeux,
Et l'oubli s'épaissit et t'absorbe à mesure.
Si je rêvais! Non, non, je suis bien mort. Tant mieux.










Sacra Fames (La Faim Sacrée) 1884


Poésies!
Console-toi ! Demain
tu mangeras des hommes,
Demain par l' homme aussi
tu seras dévoré.


Extrait Des Poèmes Tragiques
Par Leconte de Lisle



Sacra Fames (La Faim Sacrée) 1884

L' immense mer sommeille. Elle hausse et balance
Ses houles où le ciel met d' éclatants îlots.
Une nuit d' or emplit d' un magique silence
La merveilleuse horreur de l' espace et des flots.

Les deux gouffres ne font qu' un abîme sans borne
De tristesse, de paix et d' éblouissement,
Sanctuaire et tombeau, désert splendide et morne
Où des millions d' yeux regardent fixement.

Tels, le ciel magnifique et les eaux vénérables
Dorment dans la lumière et dans la majesté,
Comme si la rumeur des vivants misérables
N' avait troublé jamais leur rêve illimité.

Cependant, plein de faim dans sa peau flasque et rude,
Le sinistre rôdeur des steppes de la mer
Vient, va, tourne, et, flairant au loin la solitude,
Entre-bâille d' ennui ses mâchoires de fer.

Certes, il n' a souci de l' immensité bleue,
Des trois rois, du triangle ou du long scorpion
Qui tord dans l' infini sa flamboyante queue,
Ni de l' ourse qui plonge au clair septentrion.

Il ne sait que la chair qu' on broie et qu' on dépèce,
Et, toujours absorbé dans son désir sanglant,
Au fond des masses d' eau lourdes d' une ombre épaisse
Il laisse errer son oeil terne, impassible et lent.

Tout est vide et muet. Rien qui nage ou qui flotte,
Qui soit vivant ou mort, qu' il puisse entendre ou voir.
Il reste inerte, aveugle, et son grêle pilote
Se pose pour dormir sur son aileron noir.

Va, monstre ! Tu n' es pas autre que nous ne sommes,
Plus hideux, plus féroce, ou plus désespéré.
Console-toi ! Demain tu mangeras des hommes,
Demain par l' homme aussi tu seras dévoré.

La faim sacrée est un long meurtre légitime
Des profondeurs de l' ombre aux cieux resplendissants,
Et l' homme et le requin, égorgeur ou victime,
Devant ta face, ô mort, sont tous deux innocents.

Saturday, July 28, 2012

Contre les bûcherons de la forêt de Gastine


Poésies!
Ce ne sont pas des bois
que tu jettes à bas. . .

Extrait Des Poésies choisies

Par Pierre De Ronsard







Ecoute, Bûcheron, arrête un peu le bras! 
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas: 
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force 
Des Nymphes qui vivaient dessous la duré écorce? 
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur 
Pour piller un butin de bien peu de valeur, 
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses 
Mérites-tu, méchant, pour tuer des Déesses? 
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers, 
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers 
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière 
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière, 
Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé, 
Enflant son flageolet à quatre trous percé, 
Son mâtin à ses pieds, à son flanc sa houlette, 
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette. 
Tout deviendra muet; Echo sera sans voix; 
Tu deviendras campagne et, en lieu de tes bois, 
Dont l'ombrage incertain lentement se remue, 
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue; 
Tu perdras ton silence, et haletants d'effroi 
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi. 
Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphyre, 
Où premier j'accordai les langues de ma lyre, 
Où premier j'entendis les flèches résonner 
D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner; 
Où premier admirant la belle Calliope, 
Je devins amoureux de sa neuvaine trope, 
Quand sa main sur le front cent roses me jeta 
Et de son propre lait Euterpe m'allaita. 
Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées, 
De tableaux et de fleurs autrefois honorées, 
Maintenant le dédain des passants altérés, 
Qui, brûlez en été des rayons éthérés, 
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures, 
Accusent vos meurtriers et leur disent injures. 
Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens, 
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens, 
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître! 
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître 
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers 
De massacrer ainsi nos pères nourriciers! 
Que l'homme est malheureux qui au monde se fie! 
O Dieux, que véritable est la Philosophie 
Qui dit que toute chose à la fin périra 
Et qu'en changeant de forme une autre vêtira; 
De Tempé la vallée un jour sera montagne 
Et la cime d'Athos une large campagne, 
Neptune quelquefois de blé sera couvert; 
La matière demeure, et la forme se perd. 

XXXI



Poésies!
. .Quand revoiray-je, helas,
de mon petit village
Fumer la cheminee,
et en quelle saison,
Revoiray-je le clos
de ma pauvre maison,. .

Extrait Des Recueils Romains

Par Joachim Du Bellay



Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy la qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son age!

Quand revoiray-je, helas, de mon petit village
Fumer la cheminee, et en quelle saison,
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage?

Plus me plaist le sejour qu'on basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine:

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.


La Couronne Effeuillée


Poésies!
. . .Au jardin de mon père
où revit toute fleur. . .

Extrait Des Elègies La Maison De Ma Mère

Par Marceline Desbordes-Valmore



J' irai, j' irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur ;
J' y répandrai longtemps mon âme agenouillée:
Non père a des secrets pour vaincre la douleur.

J' irai, j' irai lui dire, au moins avec mes larmes:
"Regardez, j' ai souffert... " il me regardera,
Et sous mes jours changés, sous mes pâleurs sans charmes,
Parce qu' il est mon père il me reconnaîtra.

Il dira : " c' est donc vous, chère âme désolée
La terre manque-t-elle à vos pas égarés ?
Chère âme, je suis Dieu : ne soyez plus troublée ;
Voici votre maison, voici mon coeur, entrez ! "

O clémence ! ô douceur ! ô saint refuge ! ô père !
Votre enfant qui pleurait vous l' avez entendu !
Je vous obtiens déjà puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j' ai perdu.

Vous ne rejetez pas la fleur qui n' est plus belle ;
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
Non d' avoir rien vendu, mais d' avoir tout donné.









Le tombeau du conquérant



Poésies!
Il dort au lit profond
creusé par les eaux vierges.

Extrait Des Trophées

Par José-Maria de Heredia



A l'ombre de la voûte en fleur des catalpas
Et des tulipiers noirs qu'étoile un blanc pétale,
Il ne repose point dans la terre fatale ;
La Floride conquise a manqué sous ses pas.

Un vil tombeau messied à de pareils trépas.
Linceul du Conquérant de l'Inde Occidentale,
Tout le Meschacébé par-dessus lui s'étale.
Le Peau-Rouge et l'ours gris ne le troubleront pas.

Il dort au lit profond creusé par les eaux vierges.
Qu'importe un monument funéraire, des cierges,
Le psaume et la chapelle ardente et l'ex-voto ?

Puisque le vent du Nord, parmi les cyprières,
Pleure et chante à jamais d'étenelles prières
Sur le Grand Fleuve où gît Hemando de Soto.

El Desdichado



Poésies!
Je suis le ténébreux,
-le veuf -l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine
à la tour abolie. . .

Extrait Des Chimères

Par Gérard De Nerval



Je suis le ténébreux, - le veuf - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus?... Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de là fée.

Friday, July 27, 2012

La Mort Du Loup



Poésies!
Les nuages couraient
sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie
on voit fuir la fumée,. . .

Extrait Des Destinées

Par Alfred de Vigny



Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. -Ni le bois ni la plaine
Ne poussaient un soupir dans les airs; seulement
La girouette en deuil criait au firmament;
Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant; bientôt,
Lui que jamais ici l'on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçaient la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse,
Mais les enfants du Loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa Louve reposait comme celle de marbre
Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées,
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante,
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair,
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

II

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre; et, comme je le crois,
Sans ses deux Louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

III

Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes!
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez, sublimes animaux!
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
-Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur!
Il disait : " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t'appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. " 

Voyelles


Poésies!
Lances des glaciers fiers,
rois blancs, frissons d'ombelles;

Extrait De Poésies Oeuvres Completes

Par Arthur Rimbaud



A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

L'homme et la mer


Poésies!
La mer est ton miroir;
tu contemples ton âme
Dans le déroulement
infini de sa lame. . .

Extrait Des Fleurs Du Mal.

Par Charles Baudelaire



Homme libre, toujours, tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, ô frères implacables !


Après trois ans



Poésies!
Le jet d'eau fait toujours
son murmure argentin
Après trois ans
Extrait Des Poèmes saturniens

Par Paul Verlaine 



Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

L'Émigrant de Landor Road


Poésies!
Au dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées
L'Émigrant de Landor Road
Extrait D'Alcools

Par Guillaume Apollinaire



Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête
La foule en tous sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel pleins de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs
Mon bateau partira demain pour l'Amérique
Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gardé dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais
-
Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes

Les mannequins pour lui s'étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé
Au rabais l'habilla comme un millionnaire

Au dehors les années
Regardaient la vitrine
Les mannequins victimes
Et passaient enchaînées

Intercalées dans l'an c'étaient les journées neuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tout noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant
Puis dans un port d'automne aux feuilles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
Et s'assit

Les vents de l'Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'étaient agenouillés
Il regarda longtemps les rives qui moururent

Seuls des bateaux d'enfants tremblaient à l'horizon
Un tout petit bouquet flottant à l'aventure
Couvrit l'Océan d'une immense floraison
Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
Et l'on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire
Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirène moderne sans époux
Gonfle-toi vers la nuit O Mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et des derniers serments


Thursday, July 26, 2012

Le ciel est devenu au soleil étoilé



Transfiguration. 
 

Soleils De Cire.
Par Bernard De l'Océan




Le ciel est devenu au soleil étoilé 
L'ombre de t'admirer. 
Sa lumière immobile en rêve de clarté 
Souffre de conspirer, 

II 
Dans les écroulements des rêves de lumières 
Les éblouissements 
Du soir immensément qui s'ombre de matières 
Constellées d'océans. 

III 
Sur l'immobilité de tout ce qui est sombre, 
Ce soleil qui pareil 
Au rire immensité, fait l'éternité d'ombre 
D'un durable vermeil, 

IV 
Candeur dans la nuit blême au terme du savoir 
Stellaire de soupir, 
Conspire infiniment que le vent est vouloir 
A l'instant de souffrir, 


Ces candélabres bleus qui brillent dans l'automne 
En veilles de pâleurs 
Et que la brise berce immense et monotone 
De liquides couleurs. . . 

VI 
Ils font cet archipel de cire qui s'inspire 
D'un sublime soleil, 
Qui brille étrangement dans tes regards que mire 
Un grand soleil pareil. 

Le soir qui vient de la rive, ?!


Transfiguration. 
 

Transfiguration.
Par Bernard De l'Océan

I
Le soir qui vient de la rive,
Qui dans ta clarté s'avive,
Reflète dans tes yeux,
Une lumière où se lève
L'absence étrange qui rêve
La lueur pâle des feux,

II
Que le sombre apte à frémir,
Elève immense soupir,
Quand tes regards sont pareils,
Aux étoiles luminescentes,
Qui s' élancent éblouissantes,
Dans la blancheur des soleils. . .

III
Le vent mobile de l'ombre,
Dans la lumière qui s'ombre
Soulève dans tes cheveux
D'eau constellés de lointaines
Lueurs qui se font sirènes,
Et tes regards dangereux.

Du fond de leurs clameur ?!


Devant La Mer.
Du fond de leurs clameur, soûles, tourbillonnantes,
Les vagues à l'envi brassent le merveilleux.














Devant La Mer.
Par Thierry Cabot

Editions ÉLP 






Secoue au moins le vide insultant qui te borne
Avec l'oeil nébuleux d'une revêche nuit.
Ne goûte plus jusqu'à vomir le crachat morne
Du médiocre qu'étouffe une écharpe d'ennui.

Hume tes mots, sème ta voix, hisse tes rêves,
Décapite les murs flageolants à moitié,
Et fais encore en magicien des blondes grèves
S'élargir sous ta foi l'horizon tout entier.

Que peuvent les corbeaux que la vermine écrase ?
N'es-tu pas né pour vivre et plus noble et plus grand,
Né pour saisir et mordre au sel de toute phrase
Un peu du coeur naïf d'un soleil pénétrant ?

N'es-tu pas là, si fort et si plein de toi-même,
Si royalement jeune et constellé d'ardeurs,
Oui tellement chéri par l'immensité même
Qu'un enfant y boirait ses futures splendeurs ?

Le monde est vieux, bien sûr, mais l'aube n'a point d'âge.
Les jours sonnent, vêtus comme d'amples secrets.
Au-delà de tes mains, l'heure en vagabondage
Imprime à chaque élan on ne sait quoi de frais.

Le beau ciel presque nu teint les eaux rayonnantes.
La mer adamantine a des jeux orgueilleux.
Du fond de leurs clameur, soûles, tourbillonnantes,
Les vagues à l'envi brassent le merveilleux.

Vois trembler le matin à la musique neuve
Et vers l'azur égal sangloter les embruns,
Cueille le songe auquel ton infini s'abreuve
Quand, délice d'écume, il jaillit des flots bruns.

Oh ! combien il te faut de soifs à ta mesure,
Combien... combien tu veux, libre d'aucun soutien,
Ici toujours, malgré la haine et la brisure,
Déchirer l'habit sale où le vil te retient !

Sur les lames, regarde ! un vol blanc de mouettes
Embrasse l'or liquide au souffle bondissant ;
Car il n'est Miel dont maintes fois tu ne souhaites
Sentir à pleins poumons le goût bouleversant.

Plus loin, dans la ferveur capiteuse et la gloire,
Le vent large médite au seuil de l'éternel,
Et la lumière aiguë aux feux de sa mémoire
Rend le monde à son verbe immense et fraternel.

O rien ne dit assez l'éclat de ta naissance!
L'onde croule sans fin de chavirants échos.
En toi monte et s'agite une claire puissance
Mêlée à la chaleur des roulis amicaux.

Hymnes, fécondité, parfums d'avant déluge,
La mer lave les rocs ; l'air est délicieux.
Va d'une seule haleine y puiser un refuge,
Plein du sang de ton coeur ! plein du cri de tes yeux !